Aérodrome de La Vidamée - Monoplan Borel.


Témoignages recueillis par Françoise Chapart.


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  Un passé tout récent et déjà oublié :
Les aviateurs de la Vidamée
      
      La Vidamée ? Quatre vingt-cinq hectares : un grand champ triangulaire, comme la cathédrale de Senlis, qui est à trois kilomètres; des boqueteaux où l'on écrase les faisans; une carrière qui n'est plus exploitée; et personne.
      Je n'avais jamais fait attention à ce lopin de terre jusqu'au jour où un complice en cartes postales anciennes m'a demandé si je savais " où c'était " en me présentant ce qu'il venait de trouver : la photo d'un aviateur, au coin d'une carte portant l'inscription " Aérodrome de La Vidamée-Chantilly (Oise), le Cigare Ruchonnet piloté par son constructeur ", et presque effacé, écrit au crayon " Ruchonnet c'est tué en 1912. " Nous avons d'abord pensé au terrain des Aigles : autour de nous personne ne se souvenait.

      Et puis, peu à peu, un passé tout proche revit, grâce à l'Institut de France, au Musée de l'Air et à des personnes nées avec le siècle, qui vont parfois là-bas rechercher leurs souvenirs d'enfance.
      Gustave Macon n'a pas fini de nous aider dans nos recherches; c'est lui qui nous parle du bois du Lieutenant, en 1913, dans les comptes rendus de la Société archéologique de Senlis, mais sans dire un mot des activités aéronautiques contemporaines.
      Ledit Lieutenant doit être Claude d'Andrée, écuyer, seigneur de La Messardière, lieutenant du château de Chantilly au temps de l'occupation de Louis XIII. Ce bois faisait auparavant partie du canton dit La Vidamé (sans " e "muet), dont le nom vient des vidames de Senlis, Robert et Raoul, qui au XII et au XIII ème siècles, firent des donations en faveur du prieuré de Saint-Nicolas-d'Acy. Aujourd'hui le nom de Vidamée (avec un " e ") est réservé aux bois et aux terres qui se trouvent en dehors du grand parc de l'Institut, à l'est du bois du Lieutenant. On trouve mention du fief de la Vidamée dans un aveu rendu à l'évêque de Senlis le 25 mai 1550, par Adrien de Ligny, seigneur de Raray, gouverneur de Rethel.
      Entre 1566 et 1584, le connétable Anne de Montmorency, puis sa veuve, Madeleine de Savoie, unirent le bois de La Vidamée à leur terre d'Apremont, qui passe au rois Louis XIII en 1633. A ce bois tenait une garenne à lièvres et à lapins qui a été source de contestations entre la princesse douarière de Condé, dame de Chantilly et d'Apremont, et le prieuré de Saint-Nicolas.
      Les services administratifs de l'Institut connaissent bien le terrain puisqu'il leur appartient. Il était exploité en 1910 par la ferme du Courtillet. Le fermier était un certain M. Roland mordu d'aviation, ce sport nouveau qui faisait rêver tout le monde; je dis bien un sport, même s'il est à nos yeux maintenant tout autre chose. Il l'était presque encore durant la guerre de 14, qui l'a fait évoluer sur une route plus tragique, avant qu'il ne devienne un service mondial interurbain qui n'étonne plus personne.
      Je dois mille remerciements au colonel conservateur du Musée de l'Air et à son bibliothécaire, M. Bernard, pour la documentation qu'ils m'ont fournie. Le plus simple et que je vous lise la lettre que j'en ai reçue et vous pourrez voir tout à l'heure les extraits du journal " L'Aéro ", des plans et des lettres conservés dans les archives du boulevard Péreire, ainsi que des photos.
      «L'aérodrome de La Vidamée a été créé en 1910 par MM. L. Pelletier et A. Bélier dont l'adresse était d'après le " Bulletin de l'Association Générale aéronautique " de mars 1911, 34, rue du Connétable à Chantilly.
      »Ce terrain, appelé tantôt " Chantilly-La Vidamée ", tantôt " Senlis-La vidamée ", était situé au nord de Courteuil, à 5 km à l'est de Chantilly et au nord de la voie ferrée Chantilly-Senlis, et était limité à l'est par la route de Saint-Nicolas à Aumont; au nord par la forêt et le parc; à l'ouest, par le chemin de Courteuil à Saint-Firmin. Il était desservi par la station de chemin de fer de Saint-Firmin, situé à 300 m de l'entrée et des hangars.
      »Deux documents de l'époque, non datés, figurant parmi nos collections, me permettent de vous donner ces précisions.
      »Il s'agit :
      »D'un plan qui devait servir de publicité, établi par les directeurs-propriétaires, MM. Pelletier et Bélier, 22 avenue de la Gare à Chantilly. (Le 22 avenue de la Gare à Chantilly, c'est l'adresse du beau-frère de M. Pelletier, M. Barbier, qui était carrossier, nous le retrouverons tout à l'heure.)
      »D'un croquis établi par le lieutenant Goüin, officier-pilote.
      »En 1922, MM. Etienne Roland (fils du fermier du Courtillet) et M. Cussac deviennent directeurs-propriétaires secondés par M. Goué, secrétaire.
      »D'abord réservé aux pilotes civils, le terrain fut, en novembre 1912, équipé de deux hangars offerts à l'armée par une société aéronautique de l'époque. Ces hangars furent officiellement inaugurés en mai ou juin 1913.
      »La Vidamée a connu une grande activité, l'école de pilotage Borel-Morane s'y étant installée, des pilotes célèbres y ont volé : Chambenoit, Verrept, le lieutenant Gaubert, Garaix, Emile et Jules Védrines, Brindejonc des Moulinais, Labouchère, Tabuteau... pour ne citer que les plus connus.
      »En avril 1912, l'école Borel partant pour Buc, l'activité se ralentit ; les directeurs fondèrent alors une nouvelle école dont le chef-pilote était M. Gaston Legrand. Une autre école "L'Aéro-Touriste", dont Garaix était chef-pilote, fut également créée.
      »Nous avons de nombreuses photographies de pilotes et d'appareils ayant volé sur ce terrain, quelques-unes sur lesquelles on aperçoit les hangars. Une lettre signée de M. Henri de Kersaint offrant deux hangars à l'armée et la réponse du colonel Hirschauder, inspecteur permanent de l'Aéronautique, le plan et le croquis mentionnés au début de cette lettre ainsi que certains article du journal "L'Aéro" citant des noms de Cantiliens.

      Voici quelques extraits d'articles parus dans le journal " L'Aéro " :
L'aérodrome de La Vidamée
      «Après huit mois de démarches et pourparlers auprès de différents propriétaires et locataires de terrains, et surtout auprès des administrations intéressées, MM. Pelletier et Bélier, les sympathiques directeurs de l'aérodrome de La Vidamée, voient enfin leurs efforts couronnés de succés.
      »Ce nouveau champ d'aviation, qui est aujourd'hui en pleine activité, est situé dans la région nord de Paris, entre Chantilly et Senlis. Il est desservi par la gare de Saint-Firmin, sur la ligne de Paris à Senlis. Les hangars sont du reste à moins de 400 mètres de cette gare. Ce magnifique aérodrome est de forme rectangulaire. Le terrain qui a 95 hectares de superficie, est absolument plat, sa largeur moyenne et de 500 mètres et sa longueur est de 2.000 mètres. Une vaste piste gazonnée de 4.000 mètres a été tracée. C'est le rêve pour les débutants et pour l'entrainement.
      »Le sol, composé de sable et d'argile, est très dur et très perméable à l'eau, même après les plus grandes pluies il est rapidement sec. Aucune inondation n'est donc à craindre.
      »Les hangars sont spacieux, bien éclairés, parfaitement clos et couverts en ardoises d'Angers. Ce sont des garages parfaits pour tous types d'appareils.
      »Indépendamment de l'école de pilotage Borel-Morane, il a été créé également une autre école pour aéroplanes de toutes marques et de tous systèmes. C'est une innovation heureuse qui donne la faculté aux élèves de s'entraîner sur des appareils de types différents.
      »De plus, l'attrait de cet aérodrome ne réside pas seulement dans sa vaste étendue et dans ses aménagements, mais encore par sa situation unique au milieu d'une région favorisée au point de vue des sports en plein air.
      »En effet, en dehors des heures propices aux évolutions aériennes, les élèves pourront, selon leurs goûts, se livre à d'autres sports.
      »Des tennis sont installés un peu partout, le jeu de golf de Chantilly est unique au monde. Un jeu de polo où des jeunes gens de bonne société rivalisent d'adressse en matière d'équitation. Le Coursing, rénové par Marcel Boulenger, qui réunit les amis de la race canine autour d'épreuves de chasse au lièvre. Enfin la chasse à courre dans les forêts de Chantilly, d'Halatte et d'Ermenonville au milieu d'équipages princiers, réunissant plusieurs fois par semaine l'élite de la noblesse française. La chasse à tir, les courses hippiques, etc., etc.
      »Ajoutons que l'aérodrome de La Vidamée a séduit d'éxigeants sportsmen, amateurs de liberté et d'espace, et que d'autres hangars sont en construction. De plus, MM. Pelletier et Bélier ont obtenu des municipalités de chantilly et de Senlis, l'assurance que des prix locaux seront attribués à des élèves ayant fait leur apprentissage sur ce magnifique champ d'aviation. L'inauguration officielle aura lieu prochainement et nous ferons connaître la date à nos lecteurs.
Albert HEC.»
(L'Aéro 4-5-1911)

Une visite à "La Vidamée"
      «La plus grande activité y règne. De nouveaux hangars sortent de terre pour répondre aux besoins de nouvelles écoles de pilotage. Des équipes d'ouvriers ahèvent la maison du garde et le restaurant si impatiemment attendu de tous. Bientôt le petit bouquet d'arbres qui, semblable à un immense surtout de table, orne le milieu de ce magnifique terrain, sera abattu. C'est évidemment un obstacle pour les jeunes pilotes qui ont toujours une tendance à se jeter dedans, mais ce sera dommage parce que son feuillage verdoyant est du plus joli aspect.
      »Seize hangars ont été commandés. Huit de ceux-ci sont complétement terminés et ont reçu leurs appareils. L'école de pilotage Borel-Morane est en plein fonctionnement, trois légers monoplans assurent aux élèves un apprentissage méthodique et rapide. Le lieutenant Gaubert qui vient de s'engager dans le Circuit Européen étonne les nombreux spectateurs de l'aérodrome par sa maitrise et son sang-froid. A ce sujet cet officier aviateur mérite des félicitations et des encouragements, c'est un passionné de l'aviation qui dut passer son brevet de pilote à Pau dans des conditions défavorables qu'il est inutile de rappeler ici. Quoique n'ayant pas de fortune, il n'a pas hésité, malgré dix-sept ans de service et seize campagnes, à demander au général Goiran, notre nouveau ministre de la Guerre, qui ne manquera pas de le lui accorder, un congé de trois ans pour se consacre entiérement à cette nouvelle science. Nous avons vu le lieutenant Gaubert à l'oeuvre et nous avons reconnu en lui un pilote de valeur qui fera bientôt parler de lui.
      »Un autre aviateur s'entraîne aussi très sérieusement, j'ai nommé Brindejonc qui sur son Blériot-Gnome, fais tous les jours du cross autour de Senlis. Ruchonnet, est arrivé aussi et a pris possession d'un hangar dans lequel l'ancien pilote de l'"Antoinette" a logé un appareil monoplan de sa construction. Védrines vient tous les jours en compagnie de Morane. Le gagnant de Paris-Madrid d'entraîne en vue du Circuit Européen.
      »Lesire va prendre possession d'un grand hangar que l'on termine rapidement pour lui et qui contiendra les trois oiseaux que possède ce sympathique aviateur. On travaille ferme aussi chez M. Lemaître pour la mise au point de l'"Hirondelle". Ce gracieus monoplan porte les couleurs de ses propriètaire : "Flamme bleu étoilée" ; en plus, un marque de fabrique sur l'empennage. Sur le capot, les initiales L.M.C. enlacées et découpées dans une feuille de cuivre poli, à la façon des marques d'automobiles. Nous avons causé un instant avec M. Lemaître dl'article "La couleur des aéroplanes" que notre confrère Saint-Aubin publit dans l'"Aéro" du 4 juin dernier, et à ce sujet, M. Lemaître nous a donné son appréciation ; "Il est en effet, très interessant, disait-il, que chaque constructeur (ou chaque compagnie de navigation aérienne) ait une couleur personnelle, et je suis un chaud partisant de la diffusion de cet usage qui n'empêchera pas de consacrer tout son temps aux grandes recherches" - ce qui est très exact. De leur côté MM. Pelletier er Bélier, les sympathiques directeurs-propriètaires de l'aérodrome de La Vidamée, ont confié à M. Barbier, de Chantilly, l'éxecution d'un apparel qui fera prochainement des essais.
Albert HEC.»
(L'Aéro 11-6-1911)

La duchesse de Chartres à La Vidamée
      «Un accident stupide de voiture, agrémenté d'une interruption de la ligne téléphonique, furent la cause du retard apporté à cette information, qui mérite d'être signalée.
      »Avant hier, un officier-pilote faisant partie de l'escadrille de Verdun se rendant à Buc, atterrissait à La Vidamée à 7 h 45 du matin, sur le "Robert-le-Fort", biplan Maurice-Farman, offert à la souscription nationale par Mme la duchesse de Chartres.
      »La direction de La Vidamée prévint immédiatement la noble et respectable donatrice, qui habite actuellement un château lui appartenant situé à Saint-Firmin, à quelques minutes de l'aérodrome, l'invitant à venir contempler le don généreux qu'elle fit à notre aéronautique militaire.
      »Accompagnée de son piqueur, Mme la duchesse de Chartres se rendit sur le champ d'aviation pour assister au départ de l'officier aviateur et du mécanicien ; mais avant et par une délicate attention, le pilote tint à exécuter quelques vols afin de démontrer les qualités de maniabilité de l'appareil qui lui était confié.
      »Il prit donc le départ et s'en fut virer au-delà de la cathédrale de Senlis, pour revenir en vol plané devant le hangar militaire.
      »A sa descente, il fut chaudement félicité par la duchesse de Chartres, qui prit congé de lui.
      »Accompagnée de M. Roland, directeur de l'aérodrome, cette grande dame, qui allie à sa haute noblesse le charme d'une remarquable simplicité, se préparait à regagner la charette anglaise qui l'avait amenée lorque avisant un trèfle à quatre feuilles sur la magnifique pelouse gazonnée de l'aérodrome, elle le cueillit et incontinent le remit à l'officier.
(L'Aéro 20-06-1913)

La fête de La Vidamée
      «Comme il était facile de le prévoir, la grande manifestation aéronautique organisée, hier après-midi, sur le magnifique aérodrome de La Vidamée, a remporté un succés complet. L'organisation il est vrai, en avait été assuré dans ses moindres détails par M. Roland, le sympathique propriétaire de La Vidamée, et M. Goué, l'actif directeur de l'aérodrome ; aussi, tout fut-il parfait !
      »Le temps, un instant troublé, voulut bien vers le soir, permettre l'essor des grands oiseaux abrités dans les hangars, et leurs blanches ailes planèrent gracieusement dans un ciel redevenu serein, tandis que l'air retentissait du ronflement joyeux des moteurs.
      »De bonne heure, une foule nombreuse, venue de tous les coins de la région, envahit le champ d'aviation qui avait revêtu son air de fête, et devant l'entrée de chaque hangard on s'attroupait pour voir les pilotes et mécaniciens donner un dernier coup d'oeil aux appareils. Le restaurant de l'aérodromes, amplement approvisionné, ne désemplissait pas et des autos venaient en grand nombre se ranger dans l'emplacement qui leur était réservé.
      »Sur la piste on remarquait la présence du sous-préfet de Senlis, de MM. Odent, Zarra, commissaires de l'Aéro-Club, Anzani, d'Astannières, Dubreuil, Dumaine, M. et Mme Paret, Roland, Goué, Mme Grandseigne, etc.
      »A 16 heures, les nuages longtemps amoncelés s'évanouissent peu à peu et le vent souffle moins violemment. On amène aussitôt les appareils sur la ligne de départ et bientôt Labbaye s'élève dans un style magistral, sur son Blériot-Anzani ; file vers Senlis, décrit plusieurs larges cercles et revient atterir parfaitement.
      »Beger s'envole alors sur son Nieuport et il effectue un joli vol sur les environs, terminé par une superbe descente piquée. Sallard suit aussi l'exemple de ses camarades ; il fait sortir son biplan moteur Anzani 100 HP, et prend son envol, montant à grande hauteur.
      »Cependant, Mlle Damedoz ne veut pas être en reste et elle s'installe gaillardement dans son Bathiat-Sanchez, moteur Gnôme 50 HP. Le monoplan file rapidement, s'élève, et disaparait dans le lointain.
      »Grandseigne part à son tour sur monoplan Clément-Bayart-Gnôme, se promenent longuement autour de l'aérodrome. La fête bat son plein et le public manifeste son contentement. Les départs et atterrissages se multiplient sur la piste idéale de La Vidamée et, monoplans et biplans sillonnent le ciel en tous sens.
      »On commence pourtant à s'inquiéter de l'absence prolongée de Mlle Damedoz qui n'a pas encore reparu. Berger, Labbaye, Grandseigne partent à sa recherche dans différentes directions, mais sont obligés de rentrer sans pouvoir apporter de nouvelles de l'aviatrice disparue. A la nuit seulement, on apprend par téléphone qu'elle a été obligée d'atterrir près de Nanteuil, à 20 kilomètres environ de l'aérodrome, sans mal pour le pilote comme pour l'appareil.
      »Dans le crépuscule, Schemmel sort également, avec son monoplan type Ruchonnet, pendant que Sallard continue à emmener des passagers sur son biplan automatiquement stabilisé. Il prend notamment à bord de son appareil M. Zorra, le sympathique commissaire de l'Aéro-Club qui redescent enthousiasmé des qualités du biplan Sallard, que son constructeur laisse voler sans toucher à ses commandes.
      »Puis, c'est la rentrée des appareils aux hangars, tandis que la foule se retire vers la station toute proche de Saint-Firmin, enchantée de cette journée si intéressante.
Max BRUYERE.»
(L'Aéro 06-10-1913)

Lire ces articles, c'est revivre une période passionnante dont j'ai la chance d'avoir retrouvé quelques temoins.
      En premier lieu, le docteur Dautheuil, toujours omniprésent. Il m'a raconté une anecdote sur Jules Védrines, ce pilote qui devait avoir au moins cinq anges gardiens et dont un des exploits, voulant célébrer la Victoire, fut son atterrissage, le 19 janvier 1919, sur le toit des Galeries Lafayette à Paris où une stèle commémore le fait.
      Externe à Lariboisière, le jeune médecin apprit un lundi dans le train un accident arrivé la veille à Védrines : "Je me suit dit : bath! je vais l'avoir dans mon service. Manque de chance, il était dans la salle a côté. Mais on m'a demandé d'aller aidé. C'est moi qui lui ai coupé les cheveux; j'en ai gardé mais je ne sais pas où ils sont. Il était rudement mal embouché."
      Quelques témoignages un peu découssus sont intéressants par les redites qui mettent l'accent sur ce qui a le plus marqué.
      M. Watts, lui, se souvient que tout gamin, il allait à La Vidamée avec ses copains de Chantilly :
      »On se levait tôt, on prenait la sente d'Avilly, on suivait le ru, au long de la vallée, des petits chemins ; il y avait un mur, le pont du chemin de fer et puis il fallait monter. Sur l'aérodrome, il y avait un bois qui a disparu. Les hangars étaient à côté de la carrière. Le champ était entouré de barrières de châtaigniers, comme à Chantilly, en moins beau.
      »Morane, qui avait été blessé dans la course Paris-Madrid, avait fondé l'école d'aviation Morane-Saulnier à La Vidamée.Védrines et son équipe y venait souvent. Un jour, en atterrissant, Védrines a percuté sur le petit bois et son avion s'est mis à la verticale ; tout le monde s'est precipité, a cherché en vain le bonhomme... qui était sorti de l'autre côté du bosquet, tout tranquillement.
      »Verrept, dont on peut voir une photo, a essayé de battre le record de hauteur.
      »Ruchonnet, l'ancien pilote de l'"Antoinette", s'est tué en essayant à La Vidamée un autre avion que le sien en 1912. J'étais à l'école de Chantilly, on l'a vu passer, et le soir on a su qu'il était mort ; ça nous a fait quelque chose. Ruchonnet faisait figure de précurseur : au contraire des autres avions qui avaient un fuselage ajouré en croisillons de bois, le sien avait un fuselage plein. Il l'avait peint en rouge, on l'appelait le Cigare. Ce n'est que plus tard que Dupersaint a fait un fuselage entoilé. Ruchonnet est enterré à Senlis. Jusqu'avant la dernière guerre, on pouvait voir son avion dans un hangar de Senlis (Sait-on où ?).
      »Parmi les tapés de l'aviation, continue mon interlocuteur, il ne faut pas oublier Mme Damedoz ; elle habitait à l'hôtel du château à Chantilly, et tous les jours elle allait à pied à La Vidamée, avec deux ou trois amis. C'est elle qui le jour du meeting est partie tout droit avec son avion, et elle ne revenait plus. Les aviateurs sont partis dans toutes les directions affolés. Le soir, elle a téléphoné de Nanteuil-le-Haudouin où elle avait été obligés d'atterrir, sans dommage heureusement.
      »Le premier qui ait "bouclé la boucle" à La Vidamée c'est Buelovici (Bielovucic), un pilote péruvien en France. C'était un dimanche après-midi, il y avait un soleil extraordinaire. Il était sur un biplan Farman sans carlingue, assis à l'air libre, attaché sur son siège. Il avait participé au meeting de Bordeaux vers 1910, parti de Paris en avion, un exploit déjà.
      »C'était des phénomène tous ces gens là ; il fallait un courage formidable.
      »Pendant la guerre de 14, le champ ne servait plus que pour le quartier général.»
      Pour Mme Lévèque, qui habite Saint-Nicolas, le champ d'aviation civil, créé en 1910, est deveni militaire en 14.
      «Le père Muraine qui avait le café-restaurant du village, allait vendre des boissons aux militaires.
      »Il y avait des baraques à La Vidamée ; après la victoire, le père Muraine en a acheté une, qu'il a ramenée chez lui, elle sert encore de salle de bal (le père Muraine est décédé en 1919, son fils a été longtemps armurier à Chantilly).
      »Ce doit être Ruchonnet qui lui avait donné la photo qui se trouvait dans le café : il habitait juste en face et venait souvent. Son avion a piqué à la halte de Saint-Nicolas ; il avait une femme et trois enfants. C'est lui qui avait fait son avion. Il y a quelques années la ville de Senlis a décidé de mettre les os de Ruchonnet dans la fosse commune, c'est en vain que M. Robette, marbrier, qui l'avait connu, a voulu s'y opposer.
      »Quand il faisait beau, il y avait une bonne douzaine de pionniers. Les gens de Creil venaient à pied les voir décoller. Parmi les plus fidèles était Copin, le liveur de bière de Creil.
      »Les aviateurs allaient, paraît-il, eux-mêmes à Senlis chercher leur caburant dans des bidons de cinq litres. Ils passaient par le raccourci le long du chemin de fer. Ils avaient installé des forges et fabriquaient leurs avions eux-mêmes. En 18, au-dessus des carrières, il y avait encore des carcasses d'avions, certaines parties soudées, d'autres serrées avec des colliers. On en voyait encore en 34.
      »Il parait que Guynemer est venu aussi.»
      J'ai rencontré un autre témoin, Mme Nollan, en allant repérer la situation de La Vidamée. Près de la gare de Saint-Firmin, cette dame à qui je demandais mon chemin m'a dit être la fille du facteur enregistrant avant la guerre de 14. Saint-Firmin était très conséquent pour tous les transports de betteraves et des légumes.
      Elle a vu Ruchonnet quand il est tombé ; "Il a été tué sur le coup. Il y avait un trou d'air au-dessus de Saint-nicolas ; après plusieurs accidents on a supprimé le camp qui a été déplacé à Creil (?). Un autre s'est tué aussi ; René Cambrou, un beau gars. On connaissait tous ces gens-là, et se dire qu'ils sont morts!"
      Et Mme Nollan de rappeler ses souvenirs :
      «Les aviateurs allaient dans les cafés à Courteuil. Après il y a eu un café, près des bureaux installés sur place.
      »Le comptable c'était M. Goué, de Vineuil, qui venait toujours à bicyclette.
      »Mlle Damedoz, ella avait de l'allure, elle avait les cheveux coupés à la Jeanne d'Arc. Elle prenait pension au bistrot de Saint-Firmin (devenue une maison particulière).
      »Nous, les enfants, on allait voir les aviateurs dans les hangars, ils nous connaissaient et ne nous disaient rien. Ce qui nous amusait c'était les départs. Il y en avait qui tournait l'hélice, on entendait "contact", "coupez", et ça partait.
      »Le jour du grand meeting, ca en a attiré du monde ! Si on avait eu un café à ce moment-là, on aurait fait une bonne journée. Il y a eu des trains supplémentaires, tout le monde descendait à Saint-Firmin, il y avait des gens de tous les côtés. C'était beau, les loopings.
      »Pendant la guerre c'est devenu un camp militaire; On avait installé trois canons pour défoncer les carrières de Soissons s'il avait fallu. Quand on voyait les saucisses s'installer à Creil, on allait aux carrières, humides et froides même en été ; on n'y restait pas longtemps et on bavardait avec les hommes au bord de la route.»
      Un autre témoignage me dit que La Vidamée est devenu camp militaire an 14-18. On raconte qu'il attirait toutes les belles dames de Chantilly et des environs qui venaient encourager les aviateurs.
      Entre les deux guerres, M. Hédouin père, qui était entrepreneur de maçonnerie à Vineuil, a exploité la carrière dont l'entrée était indiquée par une pierre gravée "Vibamée" conservée par la famille.
      J'ai gardé pour la fin le témoignage de M. Barbier que tous les amis de la forêt connaissent par ses photos prestigieuses. Neveu de l'instigateur de La Vidamée, puisque sa mère était la soeur de Léon Pelletier, il a gardé bien des souvenirs. M. Pelletier étair célèbre par sa Grégoire 22 HP que l'on voyait traverser Chantilly à toute allure. Vétu de son long loden, coiffé d'une casquette en tweed, il portait lorgnon et barbiche à l'impériale. Il avait le génie des entreprises. Revenant de la Guadeloupe qu'il avait électrifiée, il s'enthousiasma pour l'aviation et fonda La Vidamée avant d'aller éléctrifier Tahiti puis enfin la région de Noailles. Est-ce lui qui, à La Vidamée, a construit "la petite usine qui fournit la lumière dans tous les hangars" ?
      Le bureau central de l'école d'aviation était à Chantilly, chez l'ami Belier, 34, rue du Connétable ; mais au 22, avenue de la gare, était l'atelier de M. Barbier père, le carrossier du pays. La Société lui a commandé un avion, "Le Chanteclair", monoplan, qui n'a jamais volé. Les morceaux ont été casés dans la réserve de voitures, de l'autre côté de la rue. Réservoir en cuivre, manche à balai (petit volant q'on tournait), hélice en acajou ; le gouvernail fut peint par Alfred Gouverneur : un coq, le Chanteclair de Rostand.
      On fit dans cet atelier un autre avion commandé par quelqu'un dont le nom est oublié. Les avions finis, on les sortait dans la rue où ils attendaient la livraison.
      Le soir venaient des pilotes. Frey (comme le ministre) est venu téléphoner un soir, avec le téléphone à manivelle. Combinaison en cuir jaune, casque d'aviateur à lunettes, il revenait de voler.
      Une anecdote vraie ou non ? : un pilote aurait fait sur un monoplan monoplace une virée au-dessus du château de Chantilly ayant en croupe un autre aviateur à cheval sur la carlingue. C'est peut-être pour cela qu'on a fait des biplaces.
      «A La Vidamée, raconte M. Barbier, on se mettait à deux ou trois pour fabriquer des avions - ça volait ou non. Les avions étaient presque toujours des prototypes. Celui de Ruchonnet était un peu révolutionnaire : un monoplan entouré de bandelettes comme un cigare.
      »Le jour du grand meeting, un avion a piqué du nez en atterrissant devant la foule qui était derrière des barrières en bois. L'avion s'est cabré, l'hélice heureusement s'est arrêté. Le pilote était tombé dessus.
      »Tabuteau, on ne le voyait pas arriver et il passait au ras des toits des hangars. Il faisait des acrobaties et prenait des risques.
      »Il y avait deux associés, des frères, des amis, je ne sais plus, qui venaient de temps en temps à leur hangar, regardaient l'avion, le temps, faisaient tourner le moteur, mais trouvaient toujours une raison pour ne pas monter.
      »Védrines : mal embouché et casse cou. Il n'était pas attitré mais venait souvent : pas toujours poli et j'm'en-foutiste. Il ne craignait rien.
      »Verrept, on le voyait à Chantilly passer en avion au-dessus de la maison, à 500 mètres - on les reconnaissait.»
      Voila un sujet amorcé. J'espère que les souvenirs et les documents vont ressurgir pour grossir le dossier de La Vidamée où les ailes des faisans remplacent maintenant celles des avions.

      Après cette communication, la parole a été donné à l'auditoire ; c'est avec une émotion ressentie part tous que s'évoquèrent de nouveaux souvenirs. Si aucun détail n'a pu être donné sur les cendres de Ruchonnet, ni les restes de son aéroplane, le comte de Kersaint nous apprit comment son père avait établi près de Thiers-sur-Thève, au printemps 1918, un stand de tir dont la mission était d'entraîner les jeunes pilotes tirant à la mitrailleuse à travers l'hélice, la mitrailleuse étant réglée sur les vides des pales d'hélice en mouvement.
      M. de Laporte, pour sa part, a connu Védrines. Puis il dit l'émotion intense qui a suivi la mort de Ruchonnet dont la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre dans senlis. Autre mort tragique, celle de Leblanc,(1) mais là au cours d'une chasse au Tchad : «Son style était d'attendre le buffle pour le tuer à ses pieds ; cette fois, le fusil s'est enrayé.»
      M. Henri Marquis de Vineuil, se souvient aussi de La Vidamée, «dont le mur a été démoli par les Allemands en 40 pour faire les pistes de Creil». Son frère, «en s'amusant sur un vieux zinc pendant que les copains allaient aux noisettes, s'est crevé un oeil sur un fil de fer (1923). Il y avait encore les baraques.»
      M. Watts a encore à nous dire. Ainsi :
      «En 1918, un aviateur a atterri sur la pelouse de Chantilly avec un Newport. En repartant, il s'est tué avec son mécanicien : l'avion a piqué. Pourrait-on connaître leurs noms ?"
      «Leblanc aurait passé son brevet de pilote à La Vidamée ; il fallait faire des huit."
      M. Watts a vu Morane, qui marchait avec une canne, après son accident :
      »Il nous parlait à tous pour nous donner envie de faire de l'aviation. Il venait avec Saulnier, ils discutaient devant nous ; pour eux, c'était l'hameçon pour nous attirer.
      »Un matin, la ville de Chantilly, ravie, put suivre la merveilleuse ascension - record de la hauteur - du bel oiseau de Verrept qui montait, montait, montait...
      »Le plus joli, ce fut le jour où les concurrents de Circuit des Capitales passèrent au-dessus de l'école communale de Chantilly. Le brave père Lebeau nous faisait la classe. Un ronflement formidable... adieu livres, problèmes, etc. : en deus secondes, pas plus, les bancs étaient vides. Jusqu'au père Lebeau qui se précipatait "pour voir".
      »Les aviateurs aimaient s'amuser en surprenant le public, tels les concurrents du Circuit de l'Est, une des premières courses d'avion, passant un mercredi au-dessus du marché de Chantilly. De même un jour de Derby, juste avant l'épreuve et dans un bruit effarant surgit de la forêt la frêle carcasse du monoplan de Védrines, laissant tomber sur la foule une nuée de papillons blancs, cartes de bristol sur lesquelles une écriture ferme invitait les joueurs à mettre "cent sous sur Carvallo".»

Témoignages recueillis par Françoise Chapart.


Sources : "Comité archéologique de Senlis"
Nota : (1)-?-- Peut être confondu avec Hubert Latham, qui lui est mort le 7 juin 1912, en Afrique équatoriale française, au cours d’une partie de chasse, il trouve la mort, tué par un buffle, il est inhumé au Havre en 1914. (P. Sérou)(Source : Wikipédia)
Alfred Leblanc , aviateur (1869-1921)
Alfred Leblanc(1869-1921), was a French balloonist and aviator who today is probably most famous for breaking the flight airspeed record in 1910 while flying the Blériot XI. His airspeed was calculated at 68.20 mph (109.8 km/h). Prior to his activities as a pilot Leblanc was assistant to Louis Bleriot and handled the logistics for Bleriot on the morning of his famous cross channel flight July 25 1909.(Source : Wikipédia)
    P. Sérou - Juin 2009 -    

Voir aussi : "L'aérodrome de La Vidamée"]

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