Débarquement en Normandie.
Il était une fois... Courteuil
A la recherche du temps passé.
       C
'était il y a 65 ans, en 1944, au cours des semaines qui suivirent le débarquement des armées alliées en Normandie.
       Depuis un certain temps, les bombardements s'étaient intensifiés. Le Sud de l'Oise n'y échappait pas et souvent nous entendions, de jour comme de nuit, venant du Nord-Ouest, le vrombissement des impressionnantes armadas de bombardiers, les fameuses "forteresses volantes", venant déverser, de très haute altitude, leurs tonnes de bombes.
      L'un de leurs principaux objectif était le village de
Saint-Maximin , qui fut presque entièrement détruit et dont les carrières abritaient les fusées
V1 et
V2 avec lesquelles l'état major allemand espérait encore pouvoir renverser le cours de la guerre. c'était aussi, à deux pas de chez nous, la forêt de Chantilly qui, selon certaines sources, abritait d'important stocks de minitions. C'était enfin l'ensemble du réseau ferroviaire ; la gare de triage du Petit-Thérain, à creil, était une cible priviligiée.
      Des actions fréquentes étaient également menées, à plus basse altitude, par les redoutables chasseurs bombardiers
"Mosquitos", facilement reconnaissables aux zébrures de leurs ailes. C'est ainsi que fut rendu inutilisable le
viaduc de Chantilly, opération qui se solda, hélas, par la mort de trois personnes, un jeune enfant de la famille Catelot, l'un de nos concitoyens Alfred Margerin et une sentinelle allemande.
      Lors de ces bombardements, la riposte de l'aviation de chasse allemande, décimée sur le front russe, était presque inexistante. Par contre l'artillerie de défense aérienne était puissante et, par temps clair, l'explosion des obus constellait le ciel d'une multitude d'impacts ; la retombée des éclats était dandereuse ; une habitante de Saint-Léonard, Yvonne Parent, fut mortellement touchée par l'un deux.
      Hormis la sirène de Senlis, aucune protection civile particulière n'existait dans nos villages, si ce n'est l'injonction de gagner, lors des alertes, les caves et le souterrains les plus proches ou les tranchées-abris qu'il était recommandé de creuser dans les jardins. Bien évidemment ces fréquents bombardements étaint parfois accompagnés de bavures. Je vous relaterai deux d'entre elles qui, fort heureusement, ne firent aucune victime.
      Pour je ne sais quelle raison, la S N C F avait cru bon, en cet été 1944, d'abandonner en rase compagne, entre la halte de Saint-Nicolas et le gué de Creil (passage à niveau à la sortie de Senlis) quelques wagons en bois qui, plusieurs fois par jour, assuraient derrière une vieille locomotive à vapeur, la desserte des stations de Senlis, Saint-Nicolas, Saint-Firmin, Vineuil, les Ripailles et Chantilly.
Ces wagons attirérent peut-être l'attention de quelques Mosquitos en maraude qui, surestimant l'importance stratégique de cette voie !, crurent judicieux d'y larguer une dizaine de bombes de gros calibre qui, par ailleurs, ratèrent totalement leur cible. Leur explosion orna toutefois de larges et profonds cratères le champ que je cultivais à deux pas de là, pulvérisant les gerbes d'avoine qui y séchaient au soleil et soupoudrant de poussière et de cailloux celles qui échappèrent à ce sinistre marginal et en vérité assez relatf, ne s'agissant que de dommages matériels. Après la libération, ces cratères servirent de sépulture à une dizaine de chevaux tués lors du mitraillage en forêt d'Aumont, d'un cantonnement passager de l'armée allemande en retraite.
      La seconde anecdote a trait à l'incroyable «baraka», en ces temps agités, de deux vieux habitants de Saint-Nicolas, Eugène et Joséphine. Ils habitaient près de la Nonette, le long de la route de Saint-Nicolas à Saint-Léonard, une vieille bâtisse en pierres d'environ vingt mètres carrés, probablement utilisée autrefois par un maraîcher local comme abri de matériel. C'était un couple atypique, vivant de petits travaux intermittents. Le village les avait adoptés tels qu'ils étaient, avec leurs disputes épisodiques, leurs affrontements verbaux très colorés, leurs habituelles réconciliations temporaires.
      Ce soir-là, mon ami d'enfance Louis Lefevre et moi nous étions rendus à bicyclette au secrétariat de la mairie de Courteuil, situé alors place du Grand Orme, pour y régler peut-être quelque problèmes de
tickets d'alimentation ou autres, tout étant alors rigoureusement rationné. Nous allions repartir, quand soudain la sirène retentit ; le bruit des avions ne tarda pas à se faire entendre. Dès l'explosion des premières bombes, il s'avéra que l'objectif de cette opération était proche, probablement les dépôts de munitions de la forêt de Chantilly. Le secrétaire de mairie, Monsieur Decoster, nous fit descendre avec lui dans sa cave. Une déflagration beaucoup plus violente que les autres ne nous laissa plus aucun doute sur la proximité très inquiétante des impacts. Après une trentaine de minutes qui nous semblèrent très lonques un calme relatif survint enfin qui nous permit de reprendre à vive allure le chemin de Sain-Nicolas. Une forte odeur de poudre flottait dans une atmosphère poussiéreuse. Arrivés à hauteur du cimetière nous apercûmes avec stupeur, en contrebas, sur le long et large talus situé entre la Nonette et le chemin du Marais, une importante brêche ouverte par l'explosion d'une bombe, là où avait été creusée une tranchée-abri servant de refuge à Eugène et Joséphine pendant les alertes. Leurs chances de survie nous semblèrent alors bien minces. Sans nous attarder nous continuâmes notre route ; arrivés place des Marronniers, un attroupement insolite nous fit mettre pied à terre ; n'en croyant pas nos yeux, nous apperçûmes alors, couvert de terre et de poussière, encore tétanisés par ce qu'il venaient de vivre et se libérant de leur frayeur devant un auditoire stupéfait, Eugène et Joséphine. La bombe avait explosé à quelques mètres d'eux, boulversant violemment le soutènement de l'abri dont ils étaient néanmoins parvenus à s'extraire. Heureux miraculés, ils eurent ce soir là leur heure de célébrité.
      Ils vécurent encore de nombreuse années à Saint-Nicolas puis s'exilèrent à Yvillers, petit village proche de Villeneuve-sur-Verberie. Ils finirent leurs jours à l'hospice du centre hospitalier de Senlis et venaient encore de temps en à autre revoir les habitants de Saint-Nicolas. Souhaitant être inhumés dans le cimetière de Courteuil, un bienfaiteur local leur avait réservé la concession dans laquelle ils reposent.
      Paix à leur âme.
Témoignage : Jacques Foureaux (Ancien Maire de Courteuil).